La tradition des sofrat est très vivante au Kosovo, et désigne des chants de table accompagnés d'instruments où dominent les luths. Ces tours de chant animent les fêtes familiales et réunissent les hommes dans les oda, pièces de réception des maisons offrant un espace de convivialité unique. Il s'agit d'une poésie chantée transmise oralement, constamment enrichie en fonction des circonstances, tels que les événements politiques récents. Des chants sont également composés à la gloire des hôtes qui financent les musiciens. L'amour de la patrie et l'évocation des épisodes historiques y côtoient les odes au luth çifteli et aux grands poètes, ou encore l'expression amoureuse et l'évocation du milieu naturel.

Née dans une famille de paysans imprégnée de musique traditionnelle, Nadjiyé Bututchi se découvre une vocation de chanteuse et de joueuse de çifteli dans les écoles clandestines des années 1990, mises en place par la population albanophone en résistance au régime oppresseur de Belgrade. Sa musique est ancrée dans la tradition albanaise, tout en ayant accueilli des influences orientales marquées, du sud de la Méditerranée et des Balkans à l’Asie proche et Centrale. Respectée et vénérée par ses concitoyens, elle est aujourd’hui la seule femme à participer aux sofrat dans les conditions traditionnelles, au sein d'un ensemble masculin, une place qu'elle a conquise durant vingt ans avec une détermination farouche, mais aussi grâce à une voix et une maîtrise musicale exceptionnelles.

D'après Françoise Arnaud-Demir

En partenariat avec le Théâtre de la Ville, dans le cadre du 26e Festival de l'Imaginaire