En Thaïlande, presque chaque localité a son groupe de procession, généralement formé de tambours longs, pour accompagner les fêtes bouddhiques. À Phetchabun, cet ensemble s’est peu à peu transformé, tout d’abord en wong kibaord ou « groupes de synthétiseurs » puis en wong phin prayuk.
Le phin, c’est le luth à trois cordes que l’on retrouve dans toute l’Asie du sud-est péninsulaire sous diverses formes. Prayuk pourrait se traduire par “modernité adaptée”, et fait référence à l’amplification du phin et de la basse par un colossal sound system artisanal véhiculé sur un chariot mobile.
Un chariot mobile, car les groupes de phin prayuk ont pour tâche d’animer la procession vers le temple lors des fêtes d’offrandes, d’une ordination de moine... bref toute occasion de festivité collective. Au petit matin, les premiers motifs réveillent la petite ville. Les habitants, attirés par leurs mélodies favorites rejoignent le cortège. La progression du son, du tempo et du flux mélodique est savamment orchestrée par les musiciens pour maintenir la tension, le plaisir et entretenir la danse. On se presse autour des caissons de basse, les oreilles dans les trompes à compression, les corps galvanisés et les esprits enivrés.
Pour les jeunes musiciens du groupe Dao Phra Suk Sin, la musique est une activité parmi d’autres, même s’ils sont imprégnés depuis l’enfance par l’enseignement des maîtres locaux. Leur pratique du répertoire traditionnel ne les empêche pas d’y introduire des succès nationaux ou régionaux. Électrifiés et saturés d’effets, tous ces airs s’entremêlent pendant des heures, entêtants et fédérateurs… et à plein volume.
Cette musique, en raison de son caractère local, est ignorée des élites. En revanche certains groupes de phin prayuk s’imposent aux oreilles des milieux alternatifs occidentaux. Pour ces derniers, le son est « hypnotique », « psychédélique » alors même que les musiciens ne se réclament d’aucune de ces appellations. Par un de ces miracles du quiproquo interculturel, ces groupes pourraient connaître un succès inattendu sur les scènes de rock internationales.
La liesse collective sera conduite par le maître de cérémonie Wisay Mettanant, et, avant de débuter les hostilités, vous serez accueilli par un paysage sonore immersif pour pénétrer doucement mais sûrement dans l’univers acoustique thaïlandais (composé par Samuel Lamontagne et Samuel Gouttenoire).
Pierre Prouteau
Cette programmation est proposée par Pierre Prouteau, doctorant en anthropologie, lauréat du Prix de la Maison des Cultures du Monde 2015.
Depuis sa création en 1982, la Maison des Cultures du Monde s’est fixé comme objectif de faire connaître et reconnaître des expressions remarquables de la diversité culturelle à travers le monde. Il s’agit en particulier de formes spectaculaires et d’expressions musicales qui sont peu connues du public français, ou encore peu documentées. Créé en 2012 le prix de la Maison des Cultures du Monde permet à un(e) jeune chercheur(se) de réaliser un projet d’étude et de valorisation d’une forme spectaculaire et/ou musicale relevant du patrimoine culturel immatériel en lui offrant la possibilité de faire venir à Paris dans le cadre du Festival de l’Imaginaire des artistes et/ou praticiens de la forme spectaculaire et/ou musicale qu’il/elle étudie.