Dans le foisonnement des courants de sagesse ayant vu le jour dans la culture islamique, le soufisme se présente comme la « voie du coeur ». Le « coeur » est pour les Soufis cette faculté qui, au delà des spéculations intellectuelles, au delà des pratiques dévotes, permet à l’homme de saisir la vibration de l’Être dans le flux de la vie, et d’y communier de façon indicible. Des pratiques initiatiques proposées par les confréries (turuq, les « voies ») soufies visent à purifier progressivement le coeur du postulant, à le libérer de l’hypnose de la vie quotidienne et de ses passions, à le rendre réceptif aux appels intérieurs ou extérieurs lui révélant le sens de son pèlerinage sur terre. Ces pratiques sont très diverses : répétition de litanies à voix haute ou basse, méditations silencieuses, cultes collectifs plus ou moins extravertis selon les confréries et les milieux culturels, chants, musique, danses parfois.
Historiquement, cet élan soufi a imprégné profondément et durablement la culture des sociétés musulmanes. Des figures parmi les plus éminentes y ont pris part : le grand théologien Ghazali (m. 1111), un poète de génie comme Rûmî (m. 1258) l’Émir Abdelkader en Algérie au XIXe siècle. Il s’est manifesté dans l’expression poétique et le lyrisme, et a donné à la poésie de différentes langues en usage parmi ses plus éclatants chefs d’oeuvre ; les poésies turque et surtout persane lui sont redevables d’une inspiration qui se prolonge jusqu’à nos jours (thèmes de l’amour, du vin, de la beauté en général comme révélations sur-naturelles). Il imprègne la musique voire les chorégraphies sacrées, que ce soit dans la pureté hiératique des cérémonies mevlevies (derviches « tourneurs »), dans la spontanéité émouvante des cultes plus populaires, voire de cérémonies induisant de véritables transes. Il a laissé sa trace dans des arts aussi divers que l’architecture ou la calligraphie. Certains grands maîtres comme Ibn ’Arabî, se consacrèrent à une exploration vertigineuse du langage humain dans une méditation ininterrompue sur les textes sacrés : c’est par sa Parole que Dieu a créé l’univers et l’homme, c’est dans la langue sacrée que le Soufi peut dévoiler le secret de sa propre aspiration.
Plus généralement, les confréries soufies exercèrent une influence sociale considérable, surtout à partir du XIIe siècle. Elles furent amenées à gérer des hospices et des écoles, et leurs couvents devinrent d’importants lieux de rencontre et d’échanges. Elles diffusèrent un idéal de « chevalerie spirituelle », de combat intérieur ainsi que des attitudes religieuses à la portée des croyants immergés dans la vie ordinaire. Mais, victimes de leur propre succès, elles furent aussi amenées à jouer un rôle politique important, avec toutes les compromissions que cela put comporter parfois. Depuis le XIXe siècle, elles sont attaquées simultanément par les courants réformistes conservateurs (wahhâbisme) qui y décèlent de l’hérésie, et par les progressistes qui les accusent d’obscurantisme. Les ordres soufis continuent néanmoins de suivre jusqu’à nos jours la voie du coeur, se considérant précisément elles-mêmes comme « le coeur de l’islam ».
Pierre Lory
> 18h : PREMIÈRE PARTIE
Itinéraires et langages soufis
Modérateur : Pierre Lory
Introduction à la table ronde : Pierre Lory
Comment s'insère le soufisme dans le tissu social sunnite
La notion d'individus et de confrérie chez les soufis.Arabisant et islamisant, Pierre Lory a surtout étudié les courants mystiques et ésotériques de l'islam classique. Il occupe actuellement la chaire de mystique musulmane à la Section des Sciences religieuses de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. Il a publié, entre autres, Les commentaires ésotériques du Coran selon Al-Qâshânî (éd. Les Deux Océans, Paris, 1990) et Alchimie et mystique en terre d'islam (éd. Verdier, Lagrasse, 1989).
Sur la notion de sainteté, de wali et d'idéal : Denis Gril
Professeur d'arabe et d'islamologie à l'université de Provence et à l'Institut de Recherches et d'Etudes sur le Monde Arabe et Musulman (IREMAM), Denis Gril a contribué à de nombreux volumes collectifs (Les Voies d'Allah. Les ordres soufis dans le monde musulman des origines à nos jours, sous la direction de G. Veinstein et A. Popovic, Fayard, Paris, 1996). Il fut aussi responsable d'un groupe de recherche de l'IREMAM : «Soufisme : expressions doctrinales et formes sociales » entre 1995 et 1997. Il a par ailleurs écrit de nombreux ouvrages ainsi que divers articles dans de grandes revues (Annales islamologiques), et a participé à de multiples colloques à Paris, Oran, Marrakech, Kyoto et Sarajevo.
Soufisme et poésie : Roumi et les poètes persans : Leili Anvar
Psychologie et langage soufi : comment le corpus d'Ibn Arabi contribue à éclairer l'étude de la fonction du visuel dans le langage : Houriya Abdelouahed,Psychologue clinicienne et psychothérapeute,
Houriya Abdelouahed est aussi maître de conférences à l'Université Paris VII, Denis Diderot. Outre de nombreuses études (« Maïmonide et Ibn Arabi : deux réflexions sur l'anthropomorphisme » in Le Cheval de Troie, n° 13, 1996), Houriya Abdelouahed a notamment écrit La visualité du langage (Paris, L'Harmattan, 1998).
Extase et musique : Jean During
Spécialiste des musiques orientales, Jean During est à la fois musicien, directeur de recherche au CNRS et conseiller scientifique auprès de l'Agakhan Music Initiative in Central Asia. Il a publié Musique et Extase, l'audition mystique dans la tradition soufie (Paris, Albin Michel, 1988), Quelque chose se passe, le sens de la tradition dans l'orient musical (Verdier, 1994) et Musiques d'Asie centrale (Cité de la Musique/Actes sud, 1998).
La miniature persane : le paradoxe de l'image soufie : Mickaël Barry
Spécialiste de l'Afghanistan et de l'Iran, Mickaël Barry est consultant auprès de l'Unesco pour le patrimoine culturel afghan et chercheur à l'Institut d'Etudes iraniennes de la Sorbonne. Auteur de nombreux ouvrages sur l'Afghanistan et l'Iran, il a notamment publié Le royaume de l'insolence (Flammarion, 1984) et La résistance afghane (Flammarion, 1989) ainsi qu'une traduction du Pavillon des sept princesses de Nezâmî, chef-d'oeuvre de la poésie persane classique, illustrée de miniatures (Gallimard, « Connaissance de l'Orient »).
> 20h30 : DEUXIÈME PARTIE
Actualité du soufisme et ancrage social
Modérateur : Daniel Rivet
Daniel Rivet est directeur de l'Institut d'études de l'Islam et des Sociétés du Monde Musulman (IISMM-EHESS) et Professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Paris Panthéon-Sorbonne. Il a publié des ouvrages centrés sur le protectorat français au Maroc et le Maghreb au temps de la colonisation.
Insertion sociale du soufisme : Eric Geoffroy
Arabisant et islamologue au Département d'études arabes et islamiques à l'université Marc Bloch-Strasbourg II, Eric Geoffroy est spécialiste du soufisme et de la sainteté en islam. Il a notamment publié Le soufisme en Egypte et en Syrie sous les derniers Mamelouks et les premiers Ottomans : orientations spirituelles et enjeux culturels (publications de l'Institut Français d'Etudes Arabes de Damas, 1995), Jihâd et Contemplation. Vie et enseignement d'un soufi au temps des croisades (Dervy, Paris, 1997 ; rééd. Chez Al-Bouraq, Paris, 2003), L'instant soufi (Actes Sud, collection « le souffle de l'esprit », 2000) et un livre de synthèse sur le sujet : Initiation au soufisme (Fayard, à paraître en 2003).
La sainteté à l'époque moderne. Modèles de sainteté dans la longévité : Hassan Elboudrari
Anthropologue et maître de conférences à l'EHESS, Hassan Elboudrari anime le séminaire d'Anthropologie historique des pratiques religieuses dans l'islam méditerranéen, le thème pour 2002-2003 étant « Sainteté et institutionnalisation ». Il a publié de nombreux articles dans des revues et des volumes collectifs. Il a aussi publié des ouvrages comme Modes de transmission de la culture religieuse en islam (LeCaire, 1993).
Soufisme et dévotion populaire en Inde : Marc Gaborieau
Directeur de recherche au CNRS et directeur d'études à l'EHESS, Marc Gaborieau est un spécialiste de l'anthropologie historique des musulmans du sous-continent indopakistanais. Il a rédigé de nombreux ouvrages tels Ni Brahmanes, ni Ancêtres : colporteurs musulmans du Népal (Nanterre, Société d'ethnologie, 1993) et a contribué à divers volumes collectifs, dont Madrasa. La transmission du savoir dans le monde musulman (Paris, Editions Arguments, 1997).
Les pratiques soufies contemporaines en Turquie et en Asie centrale : Thierry Zarcone
Chercheur au CNRS et spécialiste de l'islam et des courants intellectuels en Turquie et en Asie centrale ex-soviétique et chinoise, Thierry Zarcone est également chargé de conférences à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Il est par ailleurs expert auprès de l'OSCE (Office for Democratic Institutions and Human Rights). Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Mystiques, philosophes et francs-maçons en islam (Jean Maisonneuve Editeur, Paris, 1993), et Secret et Sociétés secrètes en islam. XIX ème et XX ème siècles (Milan, Editions Archè, 2002.
L'Emir Abdel Kader comme figure de sainteté : Bruno Etienne
Politologue, professeur d'université à l'IEP d'Aix en Provence et directeur de l'observatoire du religieux, Bruno Etienne a notamment publié L'islamisme radical (Hachette, 1989), La France et l'islam (Hachette, 1989), Abdelkader (Hachette, 1994), Algérie 1830-1962 (Maisonneuve et Larose, 1999). Son dernier ouvrage, Abdelkader le Magnanime, doit paraître très prochainement chez Gallimard en coédition avec l'Institut du Monde Arabe et avec la collaboration de François Pouillon.