Le trovo met en scène deux ou plusieurs troveros, poètes chanteurs qui s’affrontent poétiquement lors de veladas troveras (sessions d’improvisation) où les mots – tout comme le vin – ne tarissent jamais. Ces dernières développent toute une dialectique sur un large panel de sujets. Composé d’aficionados, le public joue un rôle capital car il est le juge ; il applaudit ou décide de se taire, anticipe les fins de vers et salue bien haut les audaces en utilisant le jaleo (interjections). Vaincre c’est d’abord convaincre ! Être un bon trovero nécessite donc bien des qualités et des ficelles pour séduire ses spectateurs.
On ne vit pas de la parole, c’est une vocation. Agriculteurs, dockers, chauffeurs de taxi… les troveros partagent leur vie entre leur métier et le rôle de porte-parole de leur communauté.
Si la région rurale et très pauvre des Alpujarras a été pendant longtemps le berceau du trovo de cortijo, celui-ci a peu à peu suivi la route de la faim et s’est étendu au XIXe siècle jusqu’aux mines de La Unión (Cartagena) où il a joué un rôle de protestation sociale et politique essentiel. Il s’est beaucoup développé au niveau poétique et musical. C’est ainsi que naît le trovo cartagenero qui se dit “culto” ou “profesional” afin de se distinguer du trovo popular.
Les poètes chanteurs invités sont les représentants de deux types de trovo : le trovo cortijero des Alpujarras et le trovo culto de Cartagena. Le trovo des Alpujarras est appelé cortijero car il est essentiellement pratiqué par ceux qui vivent dans les cortijos, fermes très isolées dans les montagnes. Les veladas troveras rythment la vie des villages en s’intégrant aux cycles du calendrier agricole ou para-liturgique. Le chant, accompagné d’instruments à cordes, se caractérise notamment par une voix que l’on dit rajá, déchirée, rauque, profonde et puissante jusqu’à saturation.
Dans la ville de Cartagena, on se distingue avec le trovo culto. Improvisé dans le contexte de festivals, il excelle dans la prouesse poétique et la virtuosité musicale et vocale. Accompagné d’une guitare flamenca, il prend musicalement sa source dans les cantes de las minas auprès desquels il est né. La performance poétique et vocale est si exigeante que de plus en plus de poètes font appel à un chanteur flamenco : ils leur soufflent à l’oreille les vers qu’ils auront à chanter. Quant à la notion de rivalité, il ne s’agit plus d’évincer un adversaire mais de se surélever l’un et l’autre pour arriver à un état de transcendance poétique, musicale et quelquefois spirituelle. Lorsque chacun est habité par le verbe, le duende touche alors les poètes et musiciens et s’empare de la velada.
Suzy Felix
Ces 2 concerts ont été programmés suite au Prix de la Maison des Cultures du Monde dont Suzy Felix a été la première lauréate en octobre 2012.
Le Prix de la Maison des Cultures du Monde est attribué à une jeune chercheuse ou un jeune chercheur en ethnomusicologie. La récompense consiste en la programmation du projet lauréat dans le cadre du Festival de l’Imaginaire.