La Perse fut un creuset majeur du maqâm, cet univers musical savant dont l’influence s’est étendue le long des Routes de la Soie jusqu’aux confins de la Chine et de l’Inde. Mais c’est au milieu du XIXe siècle, sous le règne des Qajar, que la musique persane prend la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. L’Iran s’ouvre alors à la modernité, des académies sont créées dans diverses disciplines y compris artistiques, et la théorie modale persane revue de fond en comble. Le radif, c’est-à-dire le corpus de mélodies fondamentales qui forme ce patrimoine savant, est réorganisé selon le nouveau système modal des dastgah (modes principaux) et des avâz (modes dérivés) tandis que le répertoire de suites peut s’enrichir de nouveaux préludes ou intermèdes instrumentaux comme le pishdaramad ou le chaharmezrab. Le chant quant à lui prend une importance qu’il n’avait pas auparavant et concourt à un regain poétique.
Le rôle des musiciennes est alors cantonné à l’espace féminin. La première à paraître en public, en 1924, est Qamar ol-Molouk Vaziri. Son interprétation et sa maîtrise vocale lui vaudront le surnom de “reine de la musique persane” et à sa mort en 1959 elle laissera un souvenir impérissable dans la mémoire des Iraniens.
Mais depuis 1979, alors que la censure permet à la tradition classique de jouir d’une situation de quasi monopole, les femmes se retrouvent complètement exclues de la scène. Il faut donc rendre hommage aux chanteuses et musiciennes qui, bien que confinées à la sphère privée, aux cénacles de musiciens et à l’enseignement, cultivent opiniâtrement leur art et le transmettent coûte que coûte. Expérimentées, pleines de talent, c’est à Paris que les chanteuses Pantea Alvandipour et Maede Tabatabai Niya vont connaître à presque 40 ans le baptême de la scène.
Pantea Alvandipou - L'art vocale de l'époque qajare
Samedi 17 mai 2002 à 20h30
Pantea Alvandipour n’avait que trois ans quand sa mère se persuada qu’elle avait une voix de chanteuse. Après deux ans d’apprentissage de la cithare à cordes frappées santûr, elle entra à l’âge de 13 ans dans la classe de chant de Lotfali Seylani et quatre ans plus tard elle s’initiait auprès du maître Nasrollah Nassehpoor au répertoire savant du radif dans la tradition de l’école d’Ostad Davami. Puis, pendant huit années elle se consacra à restaurer le style vocal de Qamar-ol-Moluk Vaziri. Pantea Alvandipour est une des rares chanteuses capables de faire revivre le style de la reine de la musique qajare avec ces étonnantes brisures de la voix qui magnifient l’expression dramatique du chant. Son premier CD paraîtra en avril dans la collection INEDIT/Maison des Cultures du Monde.
Maede Tabatabai Niya - Musique persanne d'aujourd'hui
Compositions de Siamak Jahangiry
Dimanche 18 mai 2002 à 17h
Maede Tabatabai Niya est née en 1980 à Ispahan, une ville réputée pour ses artistes et sa culture raffinée. Son père Naser et son oncle Reza étaient les héritiers du maître Taj Esfahani qui fut l’une des grandes figures de l’école de chant d’Ispahan (maktab-e avâz-e Esfahan). Elle poursuivit ses études auprès d’Ali Jahandar, et devint enfin l’une des disciples de Mohammad Reza Shajarian, une figure internationale du chant classsique persan. Elle vit à Ispahan où elle enseigne le style de Shajarian à plus de 200 étudiants. Elle interprète ici des compositions originales de Siamak Jahangiry dans le style traditionnel persan.
Siamak Jahangiry incarne la génération montante de la musique persane. Ce jeune maître de ney, qui a participé avec Yo-Yo Ma au Silk Road Project et a joué régulièrement aux côtés de Hossein Alizadeh, Shahram Nazeri, Mohamad Reza Darvishi, Keyhan Kalhor ou Homayoun Shajarian, revisite la tradition persane dans des compositions originales, poursuivant ainsi le mouvement créatif amorcé sous les Qajars. Il est entouré ici de remarquables musiciens, le joueur de santûr Ali Bahrami Fard qui s’est récemment produit à Paris aux côtés de Keyhan Kalhor, la joueuse de târ et ethnomusicologue Maryam Gharasou et le percussionniste Pasha Karami.
Pierre Bois